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Haïti, entre urgences et espoirs

Femme énergique et engagée, Guerty Aimé, coordinatrice du programme de Terre des Hommes Suisse en Haïti, fait le point sur la situation d’après-Matthew et sur les nombreux défis qui attendent encore ce pays.
Témoignage

Des villages entièrement dévastés, des arbres déracinés en travers des routes ou sur le toit des maisons, des enfants pieds nus dans la boue et les gravats… Début octobre 2016, l’ouragan Matthew s’est abattu sur Haïti, causant des centaines de morts et des dégâts matériaux considérables, décimant les plantations et les récoltes. Les maladies comme la malaria et le choléra se sont rapidement propagées.

Matthew est passé sur ce qu’Haïti considère comme son grenier. Dans ce pays très montagneux, à peine un tiers du territoire est cultivable. Les systèmes d’irrigation sont quasiment inexistants, l’agriculture est majoritairement pluviale et à faible rendement. Avant le passage de l’ouragan, le pays sortait de deux ans de sécheresse et la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) estimait que le déficit en termes de couverture alimentaire était d’au moins 40%. «Je vous laisse imaginer ce qu’il en est aujourd’hui… J’ai peur que la famine ne touche certaines parties du pays», témoigne Guerty Aimé.

Par ailleurs, la Direction du développement et de la coopération de la Confédération (DDC), qui approvisionnait certaines ONG en lait en poudre, a décidé d’arrêter sa collaboration en 20181 value="1">A partir de 2018, l’intégralité des fonds pour le programme lait sera en effet attribuée au Programme ali-mentaire mondial (PAM).. Grâce à ce programme, 8000 enfants bénéficient de lait chaque jour. «Pour nous, cette nouvelle représente un nouveau défi. Je suis constamment déchirée. Comment faire au mieux avec les moyens disponibles, sans privilégier un enfant plutôt qu’un autre? Les enfants qui bénéficient actuellement de notre aide sont tous dans une situation d’extrême vulnérabilité. Le repas que nous leur offrons est souvent le seul qu’ils prendront durant la journée.» La relance de l’agriculture passera notamment par un reboisement des parcelles cultivables. Cela permettra d’éviter les glissements de terrain mais surtout d’enrichir les sols qui se sont extrêmement appauvris. Dans le cadre du programme Manje lakay («manger local» en créole), de petits jardins potagers sont cultivés dans des écoles afin de faire découvrir aux enfants des recettes traditionnelles, préparées avec des légumes qu’ils ont eux-mêmes cultivés.

Un autre problème fondamental est la couverture médicale quasi inexistante dans le pays. Les gens vivent souvent loin des hôpitaux, les malades doivent parfois être transportés à dos d’homme, sur des kilomètres, avant d’avoir accès à des soins. Le choléra continue de causer des décès alors que cette maladie est pourtant facile à traiter. L’accès à l’eau potable reste un véritable défi. Différents partenaires organisent des campagnes de prévention dans les écoles primaires. Les enfants qui en bénéficient sont donc familiarisés avec les mesures d’hygiènes de base. Se laver les mains ou traiter l’eau grâce à des produits chlorés: des gestes simples qui permettent de sauver des vies. A la suite du tremblement de terre de 2010, Terre des Hommes Suisse a également accordé beaucoup d’importance à la formation en gestion de catastrophe. Au moment du passage du cyclone il y a deux mois, les enfants et le personnel d’accompagnement des écoles ont eu les bons réflexes, ils ont su quoi faire et où se réfugier.

En Haïti, moins de 20% des écoles sont publiques. L’accès à l’éducation est vraiment un enjeu central puisque c’est ce qui va permettre à un enfant de prendre conscience de ses droits fondamentaux mais aussi d’acquérir les outils pour se construire. «Nos partenaires privilégient une approche holistique et placent l’enfant au cœur de l’action. Notre objectif est de les accompagner, de leur donner les moyens de s’exprimer et de s’épanouir pour qu’ils soient un jour autonomes. Nous devons penser à long terme. Mais les catastrophes naturelles compliquent les choses. Car comment apprendre et se développer lorsque les conditions d’études sont tout sauf adéquates? Si la situation est critique, je garde cependant espoir, conclut Guerty Aimé. Chaque fois que nous accueillons et que nous formons un nouvel enfant, c’est comme une nouvelle chance que nous donnons à notre pays. Si j’avais un souhait à formuler, ce serait qu’il y ait plus d’éthique en Haïti, à commencer au sein de l’Etat qui ne s’apparente pas pour le moment à un organe de services à la population comme cela devrait être le cas. Je crois que l’avenir d’Haïti passera d’abord par le renforcement de la société civile et le réveil de ses citoyens. J’ai confiance. Les Haïtiens sont capables de changements.»

Notes[+]

Chloé Hofmann est collaboratrice à Terre des Hommes Suisse.

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