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Des mesures préventives ne sont justifiées qu’exceptionnellement

Chronique des droits humains

Le 23 février dernier, la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme a considéré à l’unanimité que l’Italie avait violé l’article 2 du protocole n° 4, relatif à la liberté de circulation, de la Convention européenne des droits de l’homme ainsi que l’article 6 § 1 de la Convention en imposant par une décision judiciaire non publique des mesures de prévention, soit des mesures spéciales de surveillance policière assorties d’une assignation à résidence1 value="1">Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 23 février 2017 dans la cause de Tommaso c. Italie (Grande Chambre)..

Le 22 mai 2007, le procureur de la ville de Bari avait proposé au tribunal de cette ville de soumettre le requérant à une mesure de surveillance spéciale de la police fondée sur une loi de 1956. Cette mesure imposait à l’intéressé les obligations suivantes: 1) se présenter une fois par semaine à l’autorité de police chargée de la surveillance; 2) rechercher du travail dans le délai d’un mois; 3) habiter à Casamassima et ne pas changer de lieu de résidence; 4) vivre honnêtement et dans le respect des lois, ne pas prêter à soupçon; 5) ne pas fréquenter des personnes ayant fait l’objet de condamnations et soumises à des mesures de prévention ou de sûreté; 6) ne pas rentrer le soir après 22 heures et ne pas sortir le matin avant 6 heures, sauf en cas de nécessité et non sans avoir averti les autorités en temps utile; 7) ne détenir ni porter aucune arme; 8) ne pas fréquenter les cafés, cabarets, salles de jeux et lieux de prostitution et ne pas participer à des réunions publiques; 9) ne pas utiliser de téléphones portables et d’appareils radioélectriques pour communiquer et 10) porter sur soi le «document prescriptif» et le présenter sur demande de la police. Le tribunal fit droit aux réquisitions du procureur par décision du 11 avril 2008, notifiée le 4 juillet 2008, rejetant les arguments du requérant présentés dans un mémoire du 6 mars 2008.

Sur recours, la Cour d’appel de Bari annula la mesure de prévention, par décision du 28 janvier 2009, notifiée le 4 février 2009, considérant que la dangerosité du requérant, qui avait purgé la peine de quatre ans à laquelle il avait été condamné pour des faits de trafic de stupéfiants avec détention et port d’armes, n’était plus fondée et actuelle.

La Cour européenne des droits de l’homme a procédé à l’examen de la législation de trente-quatre pays membres du Conseil de l’Europe et constaté que seuls cinq de ces pays connaissaient des mesures similaires: l’Autriche, la France, la Suisse, le Royaume-Uni et la Russie. En Suisse, comme en Autriche et en France, ces mesures avaient été prises pour faire face au hooliganisme.

La Cour relève qu’une restriction à la liberté de circulation ne peut se concevoir que si ces restrictions sont prévues par la loi et constituent des mesures nécessaires dans une société démocratique à la sécurité publique ou à la protection des droits et libertés d’autrui. La Cour a considéré que la loi de 1956, libellée en des termes vagues et excessivement généraux, ne remplissait pas les conditions de prévisibilité nécessaires pour que la restriction à la liberté soit légitime. En particulier, les obligations de vivre honnêtement et dans le respect des lois et ne pas prêter soupçon étaient extrêmement vagues et ne permettaient pas au requérant d’établir la teneur précise des obligations auxquelles il était soumis. Au surplus, le tribunal avait imposé ces obligations sur la base, non d’un comportement ou d’une activité délictueuse précise du requérant, mais sur le postulat d’une «tendance à la délinquance», ce qui était insuffisant pour établir la nécessité d’une mesure restreignant la liberté de circulation du requérant.

Dans un remarquable avis minoritaire, le juge portugais aurait voulu que la Cour aille plus loin et considère que l’Italie avait aussi violé l’article 5 de la Convention, qui garantit le droit à la liberté et à la sûreté, pour le motif que l’assignation à résidence de 22 heures à 6 heures, assimilable à une privation de liberté, n’était pas justifiée au regard des exigences conventionnelles. En outre, la Cour d’appel aurait dû respecter le délai légal de trente jours et ne pas attendre sept mois avant de statuer.

Ainsi, même si la Suisse n’a pas signé et ratifié ce protocole additionnel qui complète la liste des droits et libertés garantis par la Convention – bien que le Conseil fédéral l’envisage depuis plusieurs années mais est retenu pour des raisons de politique interne2 value="2">Cf. onzième rapport sur la Suisse et les conventions du Conseil de l’Europe FF 2016 pp. 6823 ss, pp. 6832-6833. –, cette jurisprudence est susceptible de s’appliquer à notre pays.

Notes[+]

Pierre-Yves Bosshard est avocat au Barreau de Genève, membre du comité de l’Association des juristes progressistes.

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