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A malin, malin et demi?

AU PIED DU MUR

On dit que le malin sait se tirer d’un piège dans lequel le sage ne serait pas tombé. Dans cette logique, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou est peut-être malin, mais certainement pas sage. S’il avait été intelligent, il aurait écouté l’avis des chefs de la police et des services de renseignement et se serait abstenu de placer des détecteurs de métaux aux entrées de l’esplanade des Mosquées à Jérusalem.

C’est un des miracles de la ville: depuis un demi-siècle, le troisième lieu saint de l’Islam, après la Mecque et Médine, est occupé par l’Etat d’Israël, et, mis a part quelques incidents plus ou moins graves, le statu quo mis en place en 1967 tient bon: le roi de Jordanie est reconnu comme le gardien des lieux saints de Jérusalem et c’est le Waqf – une institution musulmane relevant de la Jordanie – qui assure leur gestion. Ainsi, pour les non-musulmans, les horaires d’accès à l’esplanade des Mosquées sont clairement établis et des règles précises délimitent ce qu’il leur est possible de visiter et ce qu’ils n’ont pas le droit de faire (entre autres prier).

Depuis plusieurs années, les provocations israéliennes se sont multipliées: parades de groupes d’extrême droite, visites médiatisées de certains ministres, prières juives… Mais, mis en garde par le roi de Jordanie, Benjamin Netanyahou a su mettre fin à ces initiatives, sous peine de provoquer un tremblement de terre dans le monde musulman tout entier.

La décision de placer des détecteurs de métaux aux entrées de l’esplanade [prise par les autorités israéliennes après l’assassinat, le 14 juillet, de deux policiers israéliens par trois Arabes israéliens] a été perçue comme une remise en question du statu quo, suscitant la colère des autorités jordaniennes et la décision des autorités religieuses musulmanes de fermer l’esplanade à la grande prière du vendredi – qui rassemble plus de 100 000 fidèles, malgré les obstacles administratifs et les barrages israéliens.

Comme on pouvait s’y attendre, la population musulmane a violemment réagi à ce qu’elle a perçu comme une nouvelle mainmise israélienne sur cet éminent symbole de sa foi, mais aussi de son identité nationale (ce qui explique la participation active des Palestiniens chrétiens aux manifestations). Durant plusieurs jours, Jérusalem a été le théâtre de confrontations et de violences meurtrières.

Netanyahou est un aventurier, souvent irresponsable. Il n’a peur que d’une chose: être doublé sur sa droite par le chef de l’extrême droite religieuse et ministre de l’Education Naftali Bennett, qui aspire à le remplacer à la tête de la coalition d’extrême droite. S’il avait retiré les détecteurs de métaux au moment où le suggéraient les forces de sécurité, il se serait fait traiter de faible par Bennett et ses alliés.

Mais Netanyahou a une chance incroyable: le 23 juillet, un agent de sécurité posté à l’ambassade d’Israël à Amman et jouissant de l’immunité diplomatique a assassiné un jeune Jordanien, croyant – a-t-il dit – que celui-ci tentait de l’attaquer. Un arrangement est alors trouvé: l’agent de sécurité et l’ambassadrice à Amman sont rapatriés en Israël… et les détecteurs de métaux retirés des entrées de l’esplanade des Mosquées. Israël s’est, en outre, engagée à enquêter sur le meurtre et, le cas échéant, à juger l’agent de sécurité. Netanyahou a pourtant reçu ce dernier avec les honneurs – on a les héros qu’on mérite…

Netanyahou est un politicien habile qui a su garder le pouvoir plus longtemps que David Ben Gourion, père fondateur de l’Etat d’Israël, mais il est loin d’être un grand dirigeant politique. Dépourvue de vision, son intelligence politique se limite à un instinct aigu de survie. A quoi il faut ajouter une passion du luxe bling-bling et des liens personnels et familiaux avec le monde de l’argent plus ou moins sale. Les trois enquêtes ouvertes par le parquet sur les affaires de la famille Netanyahou risquent cette fois de mettre un point final à un pouvoir qui, à force de durer, a des odeurs de pourriture qui commencent à sérieusement déranger la classe dirigeante. Il y a un moment où être malin ne suffit plus.

Opinions Chroniques Michel Warschawski

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lundi 8 janvier 2018

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