Chroniques

Comme un vieux désir d’Europe

Transitions

«Je pense qu’il faut adhérer à l’Union européenne pour participer à la construction d’un espace de paix, d’une communauté pluriculturelle, d’une société consciente de ses responsabilités sociales et écologiques». Telle fut ma profession de foi en 2003, en réponse à la demande du Nouveau mouvement européen suisse (NOMES). Devrais-je avoir honte de le rappeler? Disons que je me sens un peu seule, au moment où le monde politique se débine et fait mine de réduire le débat à ces gros mots malsonnants que sont «immigration de masse», «juges étrangers» et «accord institutionnel», comme si une épuration du vocabulaire pouvait suffire à écarter les tracasseries et à illuminer notre avenir.

Le moins qu’on puisse dire, c’est que l’Union européenne, aujourd’hui, n’a rien d’enchanteur. Quand on appelle Bruxelles, il n’y a personne au bout du fil sauf des banquiers, des ex-banquiers et des futurs-banquiers. Et ils ne répondent pas: ils grondent! Demandez à la Grèce ce que ça fait d’être aux prises avec une «troïka» de financiers. Cette Europe-là, c’est celle de l’orthodoxie budgétaire qui étrangle les populations, celle du traité transatlantique (TAFTA) qui promeut la dérégulation des marchés, celle de l’intransigeance qui répond par des remontrances moralisantes à ses partenaires, telle la Catalogne, qui lui demandent une médiation. L’UDC serait bien inspirée de s’en prendre aux banquiers étrangers plutôt qu’aux juges!

Ce qui me chagrine, c’est que l’effondrement de notre élan d’autrefois ne tient pas qu’à l’excès de libéralisme économique qui prévaut en Europe, mais aussi et surtout à la régression souverainiste et nationaliste qui la mine. Certains de ceux qui s’emploient à saborder l’UE restent assis à la table de famille à faire la tête, à éructer leurs imprécations et à empoisonner l’atmosphère. D’autres font sécession, entamant un parcours erratique, provoquant des courants centrifuges, au risque d’une débandade générale peu glorieuse. Les populistes de Suisse ne sont pas en retard pour brailler avec les autres. Mais le champion toutes catégories du crachat dans la soupe, c’est le duo Orban-Kaczynski. Bon sang! Ne pourraient-ils pas se souvenir, ces deux-là, avec quelle ferveur les Hongrois et les Polonais, leurs peuples, se sont battus pour l’ouverture des frontières, et du prix de sang et de larmes qu’ils ont payé pour la liberté et la démocratie? Même chose pour les Allemands de l’Est, qui maintenant envoient au Bundestag des xénophobes et quelques nazillons, sous le nom, honteusement usurpé, d’«Alternative».

Quel contraste entre l’hyperconnexion qui caractérise notre époque, y compris pour les nationalistes de tout poil, et le repli apeuré que provoque la simple évocation d’une ouverture. Les souverainistes européens ont la tête à la dimension de la planète et les pieds vissés à la terre des ancêtres. Le cœur? On ne sait pas… Si ça se trouve ils sautent joyeusement par-dessus les frontières le week-end pour des escapades dans toutes les capitales européennes (merci EasyJet!) et la semaine ils campent sur leurs barricades pour prévenir la venue d’éventuels ressortissants de ces mêmes capitales: s’approprier le monde et fermer sa porte aux envahisseurs…

Bon, mais avec tout ça, on fait quoi de l’Europe? En 2001, lors du débat au Parlement sur l’initiative populaire «Oui à l’Europe», notre ministre des Affaires étrangères, Joseph Deiss, estimait que notre adhésion était une «fatalité historique». On eût pu souhaiter des propos plus stimulants et une attitude plus dynamique. Seize ans plus tard, malgré les traités bilatéraux, on a plutôt reculé. Certains semblent penser qu’il suffirait d’actionner le bouton «reset» et d’attendre noblement que l’Europe ait surmonté ses crises d’adolescence et se soit rendue digne de notre grande sagesse pour qu’on daigne faire un pas dans sa direction. Est-ce cela le courage civique? Il y a plus de souveraineté à participer activement à la consolidation de notre place dans l’Europe qu’à jouer les réfractaires inconstants qui quémandent des arrangements. «La Suisse est le pays de la photocopie», ironisait un député au Parlement européen, parlant de l’alignement automatique de nos lois sur celles de l’UE et de notre empressement à prévenir ses désirs comme on l’a fait avec le fameux «Cassis de Dijon».

La prochaine initiative de l’ASIN et de l’UDC la «Begrenzungsinitiative», qu’on ne sait comment traduire, sinon par l’initiative pour la limitation, pour les frontières, voire pour l’enfermement, s’apprête à transformer le pays en un îlot momifié, ratatiné, voire sinistré. Nous n’avons donc plus le choix: la vraie alternative c’est de nous battre pour que l’Union ne soit pas qu’un mécanisme néolibéral d’accès au grand marché, mais un processus de développement de la paix, des droits sociaux, de l’écologie, de la culture – un pôle politique fort dans un monde multipolaire.

Opinions Chroniques Anne-Catherine Menétrey-Savary Transitions

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lundi 8 janvier 2018

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